Lorsque blindage ne rimait pas avec cuirassements ! Fortifications : dispositions insolites ou méconnues (9)

La notion de blindage semble un fait acquis pour l'immense majorité : spontanément, la plupart l'assimilent aux chars de combat. Probablement, les plus férus d'entre vous, amis lecteurs, rapprocheront plus volontiers cette notion aux divers cuirassements qui se sont largement répandus dans les systèmes de fortifications de toutes les nations depuis les années 1880.

Pourtant, même le Larousse actuel nous restitue une définition bien plus étendue : « Blindage… Action de blinder, de munir un engin, un abri d'un moyen de protection contre les effets des projectiles — Revêtement protégeant les matériels aériens, navals et terrestres des impacts de projectiles divers. ».

Cette définition correspond toutefois encore au blindage — c'est ce terme usuel à l'époque — tel qu'il est mis en œuvre dans les fortifications depuis les années 1830 jusqu’en 1870 !
Dans ce cas, on chercherait vainement un quelconque élément métallique puisqu'il n'est fait usage que de solides poutres, madriers voire des troncs d'arbre.

Si l'entrée de ce terme fait défaut dans la première édition du fameux dictionnaire du général Cotty publié en 1822 [1], elle fait son apparition dans le supplément publié dix ans après, en 1832 [2].
La définition qu'en donne Cotty correspond en réalité au verbe :

"Blinder. C'est mettre une construction à l'abri de l'incendie que peuvent occasionner les projectiles de l'ennemi, en la couvrant au moyen de poutres ou de madriers chargés de fascine, de terre, etc. les magasins à poudre doivent être blindés lorsqu'une place est menacée d'un siège.".

Un Portefeuille des Elèves de l'Ecole polytechnique (1861-1862), en donne une excellente illustration :

Blindages… Selon un portfeuille d'un élève officier de à l'école polytechnique (1861-1864) [4]





















Dans la pratique, on peut en trouver de très rares témoignages durant le conflit franco-prussien de 1870-1871. Des clichés originaux figurant dans notre fonds — jusqu'à ce jour inédits — permettent d'illustrer notre propos en « situation réelle »

Blindage d'une partie particulièrement exposée d'une caserne de Neuf-Brisach (il s'agit probablement la caserne 80) durant le siège de 1870. On utilise des troncs d'arbres et des gravas. Extrait d'un cliché inédit (© Fonds Dr Balliet)

Blindage de la partie basse du pavillon du commandant du fort Mortier (siège de Neuf-Brisach en 1870). La protection conférée par ces troncs d'arbres est désormais illusoire au regard de projectiles plus efficaces. Extrait d'un cliché inédit (© Fonds Dr Balliet)
Porte de Strasbourg, siège de Neuf-Brisach en 1870. Outre la protection des ouvertures contre les éclats des projectiles, les madriers sont supposés renforcer la maçonnerie (© Fonds Dr Balliet).

Rapidement, après la guerre de 1870, ces dispositifs deviennent désuets et les dictionnaires militaires du temps s'adaptent aux nouveautés [3]… "Blindage. Espèce de cuirassement consistant en plaques de fer ou d'acier […]" !

Bien cordialement.

J.M. Balliet

Sources imprimées :
  1. COTTY (Colonel H.) - Encyclopédie méthodique. Dictionnaire de l'artillerie. Paris, 1822.
  2. COTTY (Gaspard - Hermann) - Encyclopédie méthodique. Dictionnaire de l'artillerie - Supplément au dictionnaire de l'Artillerie. Paris, 1832.
  3. [DICTIONNAIRE MILITAIRE] - Nouveau dictionnaire militaire par un comité d'officiers de toutes armes sous la direction d'un officier supérieur. Paris, 1891.
  4. [ÉCOLE POLYTECHNIQUE] Portefeuille des Elèves de l'Ecole polytechnique de 1861-1862 1ere Division. 1862.

Commentaires