À propos des matériels d'artillerie exposés au musée historique de la ville de Strasbourg

Introduction

Pendant plusieurs siècles, la ville de Strasbourg était renommée pour sa fonderie et ses pièces d'artillerie. Il est donc heureux qu'à l'occasion de la réouverture du musée historique de la ville de Strasbourg, un espace important ait été dédié à cette thématique.
Si l'agencement de l'exposition est certainement réussi, il est un domaine où, dès le départ, la situation était moins heureuse : un grand nombre de cartels décrivant la collection d'artillerie sont faux ou grevés de quelques erreurs.
Nos remarques et propositions de correction ont été transmises au conservateur du musée historique de Strasbourg dès 2013. Mais, lors de notre dernier passage, au début de l'année 2015, la situation était restée en l'état. On ne peut qu'espérer qu’il en sera tenu compte à l’occasion d’une révision des notices.
Certes on peut regretter cette situation mais loin d'être une critique acerbe, il s'agit par ces quelques notes de permettre à l'amateur de visiter avec fruit, lorsqu'il s'agit d'artillerie, les remarquables collections proposées au public.

Avertissement

Pour ne pas paraître trop confus, je vais suivre le sens naturel de la visite tout en faisant correspondre, lorsque j’ai pu les relever, les cotes du MH.
Il s’agit bien évidemment d’un ensemble de réflexions qui n’ont pas toujours un caractère définitif et qui supposent quelquefois d’être étayées par une étude plus détaillée des matériels exposés et quelques recherches plus minutieuses dans mes bibliothèques. Cependant, vous pouvez considérer qu’à une identification proposée correspond un degré de précision élevé.
Pour ne pas lasser et aller à l’essentiel, j’ai tenu à rester très concis. Les sources ne sont pas citées mais vous les trouveriez, pour l’essentiel, dans mon fonds documentaire qui comprend quelques milliers d’ouvrages du 16e à aujourd’hui (cf. Artillerie & fortifications. Sources manuscrites & imprimées), une vision d’ensemble, à destination d’un public plus large, est proposée ici : artillerie & fortifications.

Révision des notices — État début 2015 —

1 — MH 2083 Modèle de canon de 24 « l'Ange » 1782

Ce matériel est identifié de manière erronée car il s'agit très probablement d'un canon de 12 de place du modèle 1775 (il s’agit a priori d’un canon de 12 long). La pièce illustrée par ce petit modèle semble être disposée sur un affût de siège (à vérifier).
Canon de 12 de place du modèle 1775 « L'Ange »
Canon de 12 de place du modèle 1775 « L'Ange »
Ce petit modèle, d’une grande qualité est particulièrement intéressant sur le plan historique car il s’agit de l’une des neuf pièces d’artillerie, et la plus belle selon des écrits de l’époque, qui armait le fort Mortier lors du funeste siège de Neuf-Brisach en 1870.
Plus étonnant… J’ai pu retrouver cette pièce il y a quelques années : trophée de guerre des troupes badoises, elle est exposée dans la cour d’honneur du musée de Rastatt avec la mention suivante « Demontirt im Fort Mortier durch die badische (Truppen ?) ».

2 — Quatre petits modèles d’artillerie : MH 1257, 1054, 3072 & ?

L’examen de ces petits modèles est, dans des conditions d’exposition, presque impossible : dans d’autres circonstances, il ne fait guère de doute que le calibre et le modèle des pièces exposées puisse être précisé.
Il ne peut s’agir de « jouets » (cf. notice MH du modèle de canon « Luna », 1705). Il s’agit plus probablement de petits modèles répondant à l’explication suivante : les fournisseurs de bouches à feu ont trouvé ces réductions commodes pour promouvoir leur production et présenter concrètement leur offre de services.
Une petite erreur s’est glissée dans le texte à propos de J.B. de Gribeauval : « Jean-Baptiste de Gribeauval (1715 – 1789) uniformisant les différentes armes en fonction de leur utilisation en campagne, lors des sièges ou en mer ». Cela demande à être précisé… Très succinctement, ses innovations portent sur la notion de système d’arme à quatre emplois spécialisés dans l’artillerie (matériels de campagne, de siège, de place et de côte) ; normalisation des fabrications de ces différents types de matériels et leur attirail (tables de construction, & c.) ; définition des matériels. Par contre, l’artillerie de mer n’est pas du champ de compétence de Gribeauval même si les marins s'en inspireront ultérieurement.

3 — Canon de 24 « Le Somptueux » [1742] (Système Vallière).

Le Somptueux ! Voila une pièce qui porte bien son nom et qualifie la présentation muséographique… La plus belle qu’il m’est été donné d’observer jusqu’à ce jour.

Elle gagnerait, certainement, à être accompagnée d’une notice ou d’un support pédagogique plus développé afin de la mettre, encore mieux, en valeur.
Par contre, la notion de « système Vallière » relève d’une erreur courante dont l’origine remonterait à l’époque de la Restauration. Il s’agit ici d’une pièce fondue selon l’ordonnance royale du 7 octobre 1732.

Canon de 24 « Le Somptueux »
Canon de 24 « Le Somptueux »

4 — Canon « Le directeur » 1733 (88. 2007. ?. 299)

« Canon de 16, système Vallière »
La même remarque s’applique quant au qualificatif de système Vallière ». Il s’agit d’un canon de siège et de place de 16 fondu selon l’ordonnance de 1732.

5 — Canon « Pollux » 1744 (88. 2007. 0. 301)

Notice MH : Canon de 16, système Vallière
Identification erronée : Il s’agit ici d’un Canon de 12 de siège et de place fondu selon l’ordonnance de 1732 (poids relevé en livres, 3026 et ornementation du cul de lampe dédié (cf. Infra).

6  — Mortier 1781 (88. 2007. 0. 302)

Fondu par Jean Félix de Dartein et identifié comme mortier de 10 pouces, système Gribeauval.
Il semble plutôt s’agir d’un Mortier à l'ordinaire de 10 pouces à grande portée (Mortier à chambre cylindrique du modèle 1732) adapté au système de siège de Gribeauval.

7 — Deux culs-de-lampe de canon de 24

Notice MH : « XVIIIe siècle provenant de la fonderie de Bourges, qui remplacera celle de Strasbourg en 1865 ».
L’identification est erronée dans les deux cas :
Cul-de-lampe supérieur : Ornementation d’une pièce de 16 selon l’ordonnance de 1732 ;
Cul-de-lampe inférieur : Ornementation d’une pièce de 12 selon l’ordonnance de 1732.
Le terme de « provenance » pourrait prêter à confusion puisqu’il ne peut s’agir d’une fonte de la fonderie de Bourges qui ne verra, de mémoire, le jour que dans les années 1860. L’origine de ces pièces de découpe, au moins pour celle de 16, est probablement à mettre en rapport avec la transformation de l’ancien matériel de 16 en canon de 138 mm Mle 1873 à chargement par la culasse (système Reffye). 

Culs de lampe — Pièce de 16 (haut) & Pièce de 12 (bas) selon l’ordonnance de 1732
Culs de lampe — Pièce de 16 (haut) & Pièce de 12 (bas) selon l’ordonnance de 1732

8 — Vitrine — Modèle de canon de 12 « César » 1837 (MH 4090)

S’il s’agit d’un matériel de campagne du système du maréchal Valée, les conditions d’exposition du petit modèle ne permettent pas de conclure quant à l’identification exacte. Il pourrait également s’agir d’une pièce de 8 ou…

9 — Vitrine — Modèle de caisson à munitions (88. 2007. 0. 306)

L’identification qui s’impose : Caisson à munitions de campagne Mle 1764 (peut-être modifié 1808… Seul un examen détaillé du petit modèle pourrait permettre de le préciser).

10 — Vitrine — Modèle d'affût de canon de remparts 1775 (MH 40 69)

Ce superbe petit modèle m’est strictement inconnu et n’a connu aucune déclinaison à caractère réglementaire. On en revient à un autre aspect des petits modèles d’artillerie : la mise à profit par les inventeurs (nombreux exemples connus entre 1710 et 1840) pour présenter des idées nouvelles sur telle ou telle technique ou projet. Ici un affût à fonction particulière.
La datation proposée, seconde moitié du 18e me paraît cohérente avec le modèle. La mention de « canon de rempart » gagnerait à être remplacée par celle d’« Affût de place ».
En l’absence d’autres documents, la fonction de cette invention relève a priori de deux hypothèses… Un examen du petit modèle est toutefois indispensable pour espérer se prononcer.

11 — Vitrine — Instruments de visée

Le temps m’a fait défaut pour consulter ma documentation mais les libellés ne me semblent gère adaptés.
Ce sont des pièces superbes, a priori des petits il s’agit également de petits modèles.
Je ne doute pas qu’à l’aune d’une étude plus précise, il soit possible d’en dire beaucoup plus à leur propos.

12 — Vitrine — Modèle d'obusier le siège de huit pouces Vallière sur affût de campagne de 12 Gribeauval (MH 2718)

Notice MH : « on utilise ces obusiers pour atteindre un but à couvert derrière des murailles ou des accidents de terrain »
Identification : Voiture pièce de l'obusier de siège de 8 pouces — Obusier modèle 1775 (régularisation du modèle 1743)
Affût de 12 : inhabituel et très intéressant. Il faudrait pouvoir examiner le système de pointage (coin de pointage à vis horizontale ou vis de pointage sous plate-bande ?). Datation : période du 1er Empire.

13 — Vitrine — Modèle d'affût de canon d'artillerie de côte Gribeauval pour canon modifié de 24 ou de 32 (MH 4091)

Affût de côte inhabituel… Il s’agit d’un affût de côte à grand châssis orientable sur circulaire avec un lisoir directeur qui est monté de manière inadaptée. En effet, le petit châssis, pour reculer, devrait pouvoir s'appuyer sur le lisoir sinon il terminerait sa course dans le vide !
L’artillerie de côte n’a jamais compris de pièce de 32, dans le système de Gribeauval il comprend les canons de 36, 24, 16 et 12 ainsi que les mortiers de 12 et de 10 pouces.

Affût de côte à grand châssis orientable sur circulaire avec un lisoir directeur (montage erroné)
Affût de côte à grand châssis orientable sur circulaire avec un lisoir directeur (montage erroné)

14 — Canon de 12 de siège, système Gribeauval « La Meilleraye »

Relevé sur la pièce : N° de fonte 6, poids 897 kg
Identification : Canon de 12 modèle 1764 du système Gribeauval
Les tables de construction indiquent un poids théorique égal à 885 kg… Il s’agit a priori du matériel de campagne sachant que le calibre 12 n’a jamais été utilisé comme pièce de siège (on trouve des pièces de 12, adaptation des canons du modèle 1732 dans le système de place).
Il serait intéressant de savoir si le matériel a été rayé postérieurement.

15 — Canon « L'Écureuil » 1842 (réf. MH ?)

Notice MH : « Canon de 24, système Valée »
Relevé sur site : N° de fonte 106, poids 886 kg
L’identification proposée par la notice est erronée. Il s’agit du matériel suivant : Obusier de campagne de 16 cm modèle 1828 (poids théorique 885 kg).

16 — Canon « L'Enchanteur » 1843 (MH 1 ? 40)

Notice MH : canon de 12, système Valée
Relevé : N° de fonte 8, poids 870 kg
Identification : Canon de campagne de 12 modèle 1827 (système Valée) utilisant un canon de campagne de 12 Mle 1764 du système Gribeauval.

Canons - Musée historique de Strasbourg
Cf. n° 14 à 17

17 — Canon « le bandeau » 1861 (MH 1646)

Notice MH : canon de 4, modèle 1858
Relevé sur site : N° de fonte 21, poids 336 kg
Identification : Canon de 4 rayé Mle 1858.



Canons - Musée historique de Strasbourg

Malgré les défauts signalés, une visite d'impose !



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